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Abidjan Y2K : quand la jeunesse ivoirienne transforme la nostalgie en art vivant

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Août 29, 2025

À Abidjan, la jeunesse invente un nouveau langage : celui de la mémoire réinventée.
Ici, les années 2000 ne sont pas seulement des souvenirs rangés dans des tiroirs poussiéreux ou des chansons qui grésillent au fond des radios. Elles reviennent, dans un éclat vibrant, portées par une génération qui refuse de tourner la page sans en réécrire les marges. La nostalgie Y2K devient ainsi une matière brute, une argile que l’on modèle, une couleur que l’on réinvente.

Dans cette ville où la chaleur des rues se mêle aux rythmes des maquis, deux projets artistiques ouvrent une brèche dans le temps : Archives Ivoire de Marie-Hélène Banimbadio Tusiama et Baoulécore Archive de Cédric Kouamé. Tous deux racontent une même histoire : celle d’une jeunesse qui regarde en arrière non pour se perdre, mais pour inventer l’avenir à travers le prisme du passé.

Archives Ivoire : la beauté au féminin, réécrite dans les marges du temps

Le projet Archives Ivoire n’est pas une simple collection d’images. C’est une fresque, un poème visuel. Marie-Hélène Banimbadio Tusiama a choisi de tendre un miroir aux femmes ivoiriennes en revisitant leur esthétique des années 2000.

Ce qu’elle exhume, ce ne sont pas seulement des coiffures, des looks ou des magazines : c’est une mémoire intime, celle de la jeunesse féminine qui inventait sa propre liberté au tournant du millénaire. Les Destiny’s Child résonnent en arrière-plan, non comme des stars lointaines, mais comme des sœurs symboliques. Les pantalons taille basse, les lunettes colorées, les mèches flamboyantes… tout cela devient matériau artistique.

Dans ses archives, chaque photo est une révolte silencieuse contre l’oubli. Les femmes qu’elle expose sont des héroïnes de tous les jours : étudiantes, danseuses, mères ou adolescentes qui, dans leur manière de s’habiller, de se coiffer, d’habiter l’espace, affirmaient déjà une identité forte et audacieuse.

Ce travail n’est pas qu’une célébration du passé : il est une invitation à regarder différemment le présent. Car la mode n’est pas qu’un vêtement, elle est une écriture du corps. En mettant en lumière ces archives, Marie-Hélène nous rappelle que la mémoire vestimentaire est aussi une mémoire politique et culturelle.

Baoulécore Archive : l’écoute comme rituel, le vinyle comme talisman

Si Archives Ivoire convoque l’image, Baoulécore Archive convoque le son. Là où Marie-Hélène fouille les albums photos, Cédric Kouamé fouille les cartons de vinyles et de cassettes oubliées. Mais pour lui, ces objets ne sont pas que des vestiges : ce sont des talisman sonores.

Il organise des écoutes collectives où l’on dépoussière des disques pour les faire tourner à nouveau. La magie ne réside pas seulement dans la musique, mais dans l’acte d’écouter ensemble. Comme une veillée contemporaine, ces sessions créent un espace où les générations se croisent, où les souvenirs se racontent et où les sons anciens dialoguent avec les beats actuels.

Les vinyles deviennent alors des passeports temporels. Ils transportent ceux qui les écoutent vers une époque où l’on enregistrait encore sur cassette, où les DJs manipulaient les platines comme des alchimistes, où la radio dictait le tempo des soirées. Mais Kouamé ne s’arrête pas à la nostalgie : il mélange ces sons avec des textures électroniques, hip-hop ou expérimentales, créant un pont sonore entre les années 2000 et le présent.

Le résultat est puissant : une mémoire sonore partagée, un acte collectif qui transforme la nostalgie en création vivante.

Quand la nostalgie devient une arme créative

La nostalgie est souvent perçue comme un repli, une mélancolie douce-amère. Mais à Abidjan, elle est tout l’inverse : une arme créative.
En réinventant le passé, la jeunesse ivoirienne s’offre une identité plurielle, à la fois ancrée et tournée vers demain.

Ce qui se joue ici dépasse la mode ou la musique. C’est une philosophie du temps : le passé n’est pas derrière nous, il est en nous, prêt à être réveillé, remixé, reconfiguré.
La mémoire devient un laboratoire où l’on fabrique du neuf à partir de l’ancien.

Dans cette démarche, il y a une dimension presque poétique : le vinyle qui craque, la photo qui jaunit, le tissu qui se froisse… chaque fragment du passé devient une métaphore, une matière première pour une œuvre contemporaine.

Abidjan, laboratoire d’une nouvelle mémoire africaine

À travers Archives Ivoire et Baoulécore Archive, Abidjan se révèle comme une scène culturelle où le passé et le présent dialoguent sans hiérarchie. Ces projets traduisent une tendance plus large en Afrique de l’Ouest : la réappropriation des archives par la jeunesse.

Ce mouvement rejoint d’autres initiatives du continent, qu’il s’agisse de collectifs de DJs à Dakar, de créateurs de mode à Lagos ou de plasticiens à Kinshasa. Partout, la mémoire devient un terrain de jeu et de lutte, un espace où l’on revendique le droit d’écrire son histoire avec ses propres mots.

Il ne s’agit plus de subir l’histoire telle qu’elle a été racontée, mais de la réécrire depuis l’intérieur. Et dans cette réécriture, les années 2000 deviennent un prisme particulier : une décennie de transitions, entre l’analogique et le numérique, entre l’afropop naissante et la mondialisation musicale, entre traditions et nouvelles identités.

Quand le temps tourne comme un vinyle

Le plus fascinant dans cette résurgence Y2K, c’est la manière dont elle transforme notre rapport au temps. Ici, le temps n’est pas linéaire : il est circulaire. Comme un vinyle qui tourne sur la platine, il revient toujours au même point, mais jamais de la même manière. Chaque écoute, chaque regard, chaque réinterprétation lui donne une nuance nouvelle.

Ce temps circulaire est profondément africain : il s’inscrit dans les traditions orales, dans les rites où les ancêtres sont toujours présents, dans les musiques où les boucles rythmiques rappellent que le passé nourrit le présent.

Les jeunes d’Abidjan, en réinventant la nostalgie Y2K, ne font donc pas qu’un geste esthétique. Ils posent un acte philosophique : ils affirment que la mémoire n’est pas un poids, mais une énergie.

une jeunesse qui écrit demain avec les couleurs d’hier

En convoquant les images des années 2000 et les sons des vinyles oubliés, Marie-Hélène Banimbadio Tusiama et Cédric Kouamé montrent que la nostalgie n’est pas une fuite. Elle est un matériau de création, une façon de dire au monde : nous savons d’où nous venons, et c’est avec cela que nous allons plus loin.

À Abidjan, la jeunesse tisse ainsi un fil d’or entre hier et demain. Dans ce fil, il y a la beauté des corps affirmés, la puissance des sons ressuscités, et surtout l’art de transformer la mémoire en futur.

Car la nostalgie, ici, n’est pas un musée : elle est une scène. Une scène ouverte, où chaque image et chaque note deviennent des graines plantées pour l’avenir.

La Rédaction

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